HISTOIRE D'ENZO FERRARI
"IL COMMENDATORE"
Enzo Anselmo Ferrari est né à Modène le 18 février 1898... mais il ne fut déclaré à la mairie que deux jours plus tard. En effet, la neige qui tombait en abondance sur l'Emilie ne permit pas à son père le déplacement jusqu'à l'état civil le jour-même ! En 1908, son père l'emmène voir la Coppa Florio, qui se disputait sur un circuit d'une cinquantaine de kilomètres au nord de Bologne. Enzo se souviendra longtemps que c'est Nazzaro qui l'emporta ce jour-là, à 120 km/h de moyenne.
Son frère devient ingénieur, mais Enzo n'aime pas aller à l'école et rêve d'entrer dans la vie active. Il n'a que 16 ans lorsqu'il écrit son premier article dans la "Gazzetta dello Sport", datée du 16 novembre 1914. Il y relate un match de football entre Milan et Modène. Ensuite, il devient instructeur chez les pompiers de Modène et il est alors doublement frappé par le destin. Son père décède d'une pneumonie, puis c'est son frère Alfredo qui s'éteint à son tour, victime d'une maladie contractée à l'armée.
Enzo est appellé sous les drapeaux pour la Première Guerre Mondiale et il rejoint le 3ème régiment d'artillerie de montagne à Val Seriana. Comme il connaît le travail du fer, puisque son père tenait une entreprise de charpente métallique, il est affecté au ferrage des mules ! Puis, comme son frère et son père, il tombe gravement malade. Il est opéré et mis dans un baraquement à Bologne - la Barracano - réservé aux incurables ! A force de tenacité, il luttera contre la maladie et en sortira vainqueur.
En 1918, c'est le retour à la vie civile. Son colonel lui remet une lettre d'introduction pour Fiat à Turin, mais sa candidature est refusée. Désespéré, il pleure dans le parc Valentino... L'année suivante, il trouve enfin du travail chez un industriel de Turin - via Ormea - qui transforme en voitures de tourisme des camionnettes militaires, surplus de guerre. Il livre les châssis chez un carrossier, devient l'homme à tout faire de la petite entreprise, roule beaucoup et c'est là qu'il apprend véritablement à conduire vite et bien.
Enzo, aimable et rendant de nombreux services, commence à être connu dans les cafés de la ville. C'est dans l'un de ces cafés qu'il rencontre Ugo Sivocci, alors pilote d'usine pour CMN (Costruzioni Meccaniche Nazionali). Il devient son assistant-essayeur puis participe à sa première course Parma-Poggio di Berceto, à l'issue de laquelle il termine 4ème au classement général. Sa voie semble tracée...
Toujours pour CMN, il part courir la Targa Florio en 1919, en Sicile, avec son mécanicien Sivocci, par la route et avec sa voiture de course. Ils descendent dans la péninsule italienne et, dans les Abruzzes, ils sont bloqués par une tempête de neige et attaqués par des loups ! Enzo Ferrari, qui à cette époque a souvent une arme sur lui, les fait fuir en tirant des coups de feu en l'air. Le résultat de la course n'est pas brillant, classant sa CMN à la 9ème place, après de nombreuses péripéties. Mais il est suivi et, en 1920, il intègre l'équipe d'Alfa Romeo. Avec son Alfa à 4 cylindres de 4,5 litres, il parvient à se classer second.
En 1923, Enzo remporte la course sur le circuit de Savio, à Ravenne. A l'issue de la course, il rencontre les parents de l'as italien Francesco Barraca. Ceux-ci, subjugués par le talent d'Enzo Ferrari, lui offrent comme porte-bonheur l'emblème de l'escadrie de leur fils, mort en combat aérien : un cheval cabré qu'il arborait fièrement sur son avion de chasse.
Enzo Ferrari, chez Alfa Romeo, commence à prendre de plus en plus d'initiatives qui concourent à l'organisation de l'équipe. C'est ainsi qu'en 1923, on le voit à Turin, via San Massimo, en train de débaucher un brillant ingénieur chez Fiat, Vittorio Jano. C'est lui qui créera l'Alfa Romeo P2, 8 cylindres à compresseur. Et la carrière de pilote d'Enzo continue sur sa lancée... En 1924, il remporte d'autres succès, dont la Coppa Acerbo, sur le circuit de Pescara, à plus de 104 km/h de moyenne, au volant d'une Alfa Romeo Tipo RL. C'est à partir de cette course et de cette victoire qu'il est reconnu comme pilote de talent.
En 1929, lors d'un déjeuner avec des amis, Enzo Ferrari fonde la Scuderia Ferrari. Son esprit d'indépendance pourra ainsi s'exprimer librement, et Alfa Romeo pourra maintenir son nom dans les courses automobiles sans y être personnellement engagé. Ses associés sont de riches pilotes qui financent l'achat des voitures et des motos. La Scuderia Ferrari est donc née et les premières épreuves, sous ces nouvelles couleurs, se disputeront au début de l'année suivante. Enzo Ferrari pilotera encore durant quelques temps et son dernier succès personnel aura lieu dans la course de côte du Col du Penice, en 1931, sur une Alfa Romeo 8 cylindres, 2,3 litres.
Mais un événement radieux va bouleverser la vie d'Enzo et de Laura, sa femme : la naissance de Dino, ce fils unique, qui prend le nom de son grand-père - Alfredo - met un terme à la carrière de pilote d'Enzo et le gonfle de fierté. Une nouvelle raison de vivre et de croire en l'avenir...
La Scuderia Ferrari nouvellement créée se dote de pilotes de renom et continue à faire courir des Alfa Romeo en quelques motos, des Norton anglaises, jusqu'en novembre 1933. A cette date, Alfa Romeo renonce officiellement à la compétition et reporte tous ses espoirs sur la Scuderia. C'est une aubaine pour Enzo !
A partir de ce moment, une série de succès prend forme. Devant le succès de la Scuderia, il crée une revue - "La Scuderia Ferrari" - qui rend compte des hauts faits de son écurie de course. Avec son fidèle Colombo, Enzo Ferrari va aussi entreprendre l'étude d'une voiture de course ; elle prendra le nom d'Alfa Romeo 158, mais c'est bien une création d'Enzo Ferrari ! A la demande d'Alfa Romeo, la Scuderia cesse son activité en 1938. Ferrari redevient employé chez Alfa, en tant que chef du service course et s'engage à ne pas courir ou faire courir des voitures sous son nom pendant une période de quatre ans. Mais Enzo Ferrari quittera ce poste l'année suivante, à la suite d'une mésentente avec un ingénieur espagnol, Wilfredo Ricart. Celui-ci créera plus tard en Espagne la marque Pegaso, qui se veut concurrente de Ferrari.
Presque libre, Enzo Ferrari fonde à Modène Auto Avio Costruzioni (ne pouvant utiliser son nom) et crée une voiture de sport, la 815. La seconde guerre est là et Enzo Ferrari doit lui aussi s'organiser. Il transfère son usine dans un petit village situé à moins de vingt kilomètres de Modène, et dont les cerises sont la spécialité : Maranello. Là, avec une centaine d'ouvriers, il fabrique non pas des voitures, mais des machines-outils qu'il copie de modèles allemands et de petits moteurs d'avion. Malgré deux bombardements, il fait front et élabore dans sa tête les voitures qu'il construira, la guerre terminée...
Le 11 mai 1947, la première automobile de marque Ferrari fait ses débuts en compétition, c'est la 125. Sur le circuit de Piacenze, Franco Cortese doit abandonné, mais il se vengera bien vite puisqu'il remporte la deuxième course de la 125, le Grand Prix de Rome, quinze jours plus tard. En octobre se déroule le Grand Prix de Turin, dans le fief de Fiat. Raymond Sommer remporte cette victoire significative, devant l'élite internationale. Comme il l'avait fait au début de sa vie, Enzo Ferrari, peu après l'arrivée, retournera dans le Parc Valentino, pour pleurer. Mais des larmes de joies cette fois-ci !
C'est le début d'une longue moisson de victoires. En 1952, la Scuderia Ferrari remporta 95 succès sur 109 participations !
En 1955, Dino Ferrari entre à l'hôpital, atteint de myopathie. Son père passera de longues heures à son chevet, où ils discutent de voitures et de moteurs. Après avoir hésité entre un 4 cylindres en ligne et un V8, Dino dessine un 6 cylindres en V, qui équipera l'année prochaine les 156 de Formule 1. La maladie de Dino affecte le Commendatore. Malheureusement, c'est durant l'été que survient la mort de Dino. Pour la seconde fois de sa vie, Enzo Ferrari est effondré et confie à ses proches qu'il finit la saison avant de renoncer définitivement aux automobiles et à la course, et projette même de partir s'installer en Suisse.
Mais c'est peut-être les premiers essais du moteur V6 dessiné par son fils, en décembre 1956, qui feront reprendre espoir à Enzo et renoncer au suicide de sa firme. En 1959, Enzo fait parler de lui en rachetant l'immeuble Ford de Modène. Dans toute l'Italie, on craint alors un rapprochement en les deux firmes. Conscient des difficultés sportives rencontrées cette saison-là, il déclare à ses amis, lors d'un déjeuner : "Il faut d'abord que nous touchions le fond. Après nous pourrons repartir à zéro".
Depuis le 23 mai 1960, Enzo Ferrari ne dirige plus seul sa société, du moins sur le papier ; la S.E.F.A.C. (Societa Esercizio Fabbriche Automobile e Corse). De sérieux contacts sont pris, en 1963, entre Ford et l'Ingeniere. Le géant veut racheter la firme de Maranello et la nouvelle met en émoi toute l'Italie. En fait, Enzo Ferrari veut simplement faire savoir que sa firme est à vendre et fait ainsi monter la pression pour que Giovanni Agnelli, le patron de Fiat, fasse le premier pas. Ford, évincé, se vengera en rachetant Lola et en créant la GT40...
1964... Depuis la disparition de son fils, il y a près de dix ans, Enzo Ferrari se rend chaque jour au cimetière de Modène. Là, il marche seul dans les allées pour y puiser la force de continuer son oeuvre. C'est pour ne pas manquer ce rendez-vous qu'il n'assiste plus à aucune course et ne quitte plus son domicile plus de vingt-quatre heures. Cela faisait longtemps que les pourparlers étaient engagés : le 21 juin 1969, Fiat rachète Ferrari ! Ainsi, Fiat possède dorénavant 41% des parts et Enzo Ferrari 49%. Restent 10% qu'Enzo Ferrari destine à une autre personne, encore dans l'ombre...
1975... En Italie, une nouvelle loi interdit aux jeunes de moins de 21 ans et aux "vieux" de plus de 65 ans de conduire des voitures capables de dépasser les 180 km/h. Enzo Ferrari est dans le cas et doit se résoudre à conduire une modeste Fiat 132 à boîte de vitesses automatique ! Ce fait l'amuse plus qu'il ne le gêne... Auparavant, Enzo partait parfois tester ses nouveaux modèles dans la campagne alentour. Pour juger de l'effet produit, il traversait les villages avertisseur à fond et échangeait des saluts avec les riverains qui reconnaissaient en lui un personnage de haute importance.
A la fin de l'année 1976, Fiat demande à son associé Ferrari d'apposer sa marque sur ses Formule 1. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça ne fait pas plaisir au "patron" ! D'ailleurs, au début de l'année 1977, Enzo Ferrari abdique. Il en a assez, il a 80 ans et laisse la place aux jeunes, tout content de montrer ainsi sa mauvaise humeur. Néanmoins, il reste à la tête du service course et se met comme "conseiller" à la disposition de chacun à Maranello. En fait, il ne se résout pas à quitter l'empire qu'il a construit...Petit à petit, on voit Enzo Ferrari porter de plus en plus d'attention au jeune directeur administratif de la Scuderia, Piero Lardi. C'est alors que la nouvelle éclate comme une bombe ; Piero Lardi est son fils naturel ! Il est né le 22 mai 1945, mais son entourage a gardé le secret pendant de longues années...
Rongée par la maladie aggravée par le chagrin de pleurer son fils Dino depuis plus de vingt ans, Laura Ferrari s'éteint le 28 février 1978. C'est une nouvelle épreuve personnelle pour Enzo Ferrari qui est de plus en plus seul. Au bureau, il prend un peu plus de temps pour répondre à son courrier et faire envoyer des exemplaires de son livre "Piloti, che gente" à ses amis. En juillet 1979, au cimetière de Modène, la tombe de son fils Dino est profanée par des voyous. De son propre aveu, Enzo se sent terriblement seul et, une fois de plus, est sur le point de se renoncer. Comme par le passé, Enzo continue de déjeuner au restaurant Cavallino, en face de son usine. Haut-lieu de Maranello, c'est là que ce sont faites et défaites des carrières de pilotes. Il mange moins, ne boit presque plus, mais continue d'adorer les fraises au vin...
En février 1988, il fête ses 90 ans et a la joie de voir son premier arrière-petit-fils que son unique petite fille, Antonella - la fille de Piero Lardi - a mis au monde. Il se prénommera Enzo. Mais la santé d'Enzo Ferrari est mauvaise. Quand le Pape Jean-Paul II vient visiter pour la première fois l'usine Ferrari, le 4 juin 1988, le vieil homme reste alité. Il aurait aimé recevoir le Pape, mais ses forces l'ont déjà abandonné.C'est à Largo Garibaldi, dans son appartement du centre de Modène, qu'Enzo Ferrari va vivre ses derniers jours. Quelques mois auparavant, il a cédé ses dernières actions à Fiat. Le 14 août 1988, entouré de Piero Lardi et de ses souvenirs, il décède. Conformément à son souhait, l'annonce de sa mort ne sera faite que deux jours plus tard. Le décalage de deux jours pour l'annonce de sa naissance est rattrapé...
Enzo Ferrari reçut le Prix Italien de la Cavalerie pour le mérite sportif en 1924 et reçut de nombreux honneurs de la nation : Commendatore en 1927, Cavaliere del Lavoro en 1952. En 1960, il reçut un diplôme honoraire en mécanique d'ingéniérie de l'Université de Bologne. En 1988, l'Université de Modène lui fit don du diplôme en Physique. Il emporta le prix Hammerskjold des Nations Unies en 1962, le Prix Columbus en 1965, le Médaille d'Or de l'Ecole Italienne de l'Art et de la Culture en 1970 et le prix De Gasperi en 1987.Sous son commandement, la marque Ferrari gagna plus de 5.000 courses partout dans le monde et remporta 25 titres mondiaux.
Sources : www.ifrance.com/ferrariwebsite